Le Musée de la lunette, situé à Morez, dans le Jura, est bien plus qu’un simple musée : c’est une immersion dans l’histoire et l’artisanat de la lunetterie française. Ce lieu unique, implanté au cœur de la « capitale française de la lunette », retrace avec passion le parcours d’une industrie qui a marqué son territoire et influencé des générations.
Découvrez dans cette interview exclusive avec Lauriane Grosset, directrice du musée, les secrets et richesses de cet établissement hors du commun.
Parisee -. Pouvez-vous m’expliquer brièvement les raisons de votre emplacement à Morez et l’origine du projet muséal ?
L. Grosset -. Si la lunette n’a pas été inventée dans le Jura, le département et a fortiori le bassin morézien est le premier à en industrialiser la production à partir de 1820 et à l’exporter aux quatre coins du monde ; Morez est d’ailleurs surnommée « capitale française de la lunette » à partir de cette époque. On doit cette activité à Pierre-Hyacinthe Caseaux, maître-cloutier, qui fabrique en 1796 la première monture métallique grâce à son savoir-faire métallurgique. En dépit d’une concurrence asiatique qui a décimé la filière dans les années 90, les entreprises lunetières rassemblées dans le Jura autour des villes de Morez et de Morbier constituent toujours aujourd’hui l’un des pôles lunetiers le plus important de France.
Au regard de ce riche passé industriel et face à une modernisation galopante et la destruction d’anciens ateliers, le projet de musée fait suite à un important travail de collecte et de sauvegarde du patrimoine industriel local par des lunetiers à la retraite dans les années 70. Dans les années 80, sous l’impulsion de la municipalité et notamment de son maire, Jean-Paul Salino, ancien lunetier, germe l’idée de mettre en place une nouvelle structure « vitrine de l’industrie lunetière morézienne ». En 1995, le projet d’un « centre de vie de la lunette » est officiellement lancé. En février 1998, le projet architectural et muséographique des architectes Gilles Reichardt et Gilles Ferreux de Lons-le-Saunier est retenu ; les travaux du bâtiment, appelé « Viséum », commencent en septembre 2000. Le Musée de la lunette est inauguré le 17 mai 2003 en présence du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, Alain Lambert.
Parisee -. Comment sont constitués les fonds et continuent-ils à évoluer ?
L. Grosset -. Une collection muséale est par définition un ensemble non fini d’objets de diverses natures ; l’enrichissement des collections, que ce soit à titre gratuit ou onéreux, constitue en effet l’une des missions fondamentales d’un musée appellation « musée de France » que porte le Musée de la lunette. Cet enrichissement des collections se fait essentiellement par la voie du don pour ce qui concerne le musée de Morez ; une sélection est opérée préalablement étant donné l’intérêt public de l’objet au regard de la collection mais également l’état de conservation. Pour ce faire, une politique d’acquisition cohérente est élaborée pour définir les grands axes de la stratégie d’enrichissement des collections comme, par exemple, des items autour de l’objet « lunette » du point de vue historique, scientifique ou encore technique.
Parisee -. Quelles sont les dernières acquisitions ?
L. Grosset -. La dernière acquisition, et non des moindres, date d’environ 2 mois avec un ensemble de plus de 500 lunettes solaires donné par un lynétaphile passionné et passionnant. Cet ensemble fait suite à trois autres dons réalisés par ce même philanthrope en 2005 (plus de 400 pièces), 2013 (plus de 200 pièces) et 2022 (400 lunettes). Ce fond éponyme est aujourd’hui constitué d’environ 1 500 pièces avec, pour plus de la moitié, les plus grandes marques de luxe françaises et étrangères comme Cartier, Chanel, Dior, Dolce & Gabana, Gucci, Longchamp, Alain Mikli, Nina Ricci, Prada, Versace et bien d’autres (années 70 à 2000).
Parisee -. À quelle époque situe-t-on l’apparition des premières lunettes ?
L. Grosset -. Les premières lunettes apparaissent en Italie à la fin du 13ème siècle et ce, grâce aux savoir-faire verrier des cités de Venise et surtout de Murano. Si le principe optique des loupes est connu depuis l’Antiquité, c’est grâce à l’apparition des bésicles – 2 loupes taillées dans du béryl (cristal de roche) réunies par un rivet – que naissent les premières « lunettes ». L’apparition des branches (signalées en France au milieu du 18ème siècle) donne à la lunette la forme commune que nous lui connaissons aujourd’hui : deux verres enchâssés, reliés par un nez, prolongés par deux branches latérales. Cette invention – une révolution dans l’histoire de la lunette – ne supplantera pourtant que tardivement les instruments d’optique à port manuel, plus discrets et plus élégants pour la société du siècle des Lumières tels que faces-à-main, lancetiers, monocles, lorgnettes, pince-nez, etc.
Parisee -. Quels sont les modèles les plus anciens et les pièces phares du musée ?
L. Grosset -. Parmi les modèles les plus anciens, le musée conserve des bésicles du 18ème siècle en cuir bouilli et en fanon de baleine. Datant de la même époque, des lunettes à tempes sont également exposées comme celles que l’on attribue à Louise Victoire, fille de Louis XV dont l’un des anneaux comporte une fleur de lys, symbole du pouvoir royal, et l’autre, ses deux initiales « L » et « V » entrelacées.
La qualité et la diversité caractérisent indéniablement les collections du musée tant dans les matériaux (or, argent, vermeil, nacre, ivoire, cuir, nacre, écaille, etc.) que dans la pluralité des objets qui nourrisse l’histoire de la lunette depuis le 13ème siècle. Mais nous avons en quelque sorte notre « Joconde », de rares exemplaires de lunettes fabriqués par Pierre Hyacinthe Caseaux, à l’origine de l’activité lunetière dans le bassin morézien. Le musée conserve également en dépôt l’une des plus importantes collections de lunettes et instruments d’optique au monde, la collection Pierre Marly (propriété EssilorLuxottica) avec notamment des faces-à-main ayant appartenu à Sarah Bernhardt et des lunettes créées par cet opticien, surnommé « le couturier des lunettes », qui a dessiné des lunettes pour les plus grandes vedettes de la seconde moitié du XXe siècle à l’instar d’Elton John, Brigitte Bardot, Sophia Loren et Audrey Hepburn.
Parisee -. À partir de quand les lunettes sont-elles passées du statut d’outil médical à celui d’accessoire de mode ?
L. Grosset -. A partir des années 1950/60, la mode s’introduit dans les objets utilitaires et a fortiori dans la lunette grâce, notamment, à l’invention de l’acétate de cellulose dans les années 30 ; ce matériau marque une grande révolution puisqu’on assiste à une explosion de créativité avec des formes et des couleurs originales et insolites comme les modèles papillon et chat. Parallèlement, les montures glamour portées par les stars hollywoodiennes vont contribuer à rendre populaire le port des lunettes de soleil. A la même époque, Pierre Marly, opticien et créateur parisien, fait souffler un vent de folie et de modernité ; il crée des lunettes sur-mesure et originales pour de nombreuses personnalités. Dès lors, l’image sociale du porteur de lunettes est renversée ; d’un personnage moqué, porteur de handicap, on passe à un personnage charismatique qui s’affirme à travers ses lunettes, lesquelles font partie intégrante de sa personnalité, en devenant même parfois l’objet de son identification (ex. lunettes de Michel Polnareff). Les premiers postes de designers se développent dans les usines de lunetterie afin d’adapter les modèles aux goûts et aux couleurs de chacun et les premières collections se créent souvent en collaboration avec de grands couturiers. André Courrèges est l’un des premiers à utiliser la lunette comme accessoire de mode. Il s’associe notamment avec Pierre Marly afin de créer des modèles iconiques destinés aux défilés de mode comme ce modèle à fentes, porté lors du défilé de la collection « Space Age » (1964) et actuellement exposé au musée.
Parisee -. Quelle est la place particulière des lunettes dans l’histoire de la mode ?
L. Grosset -. La mode est synonyme de recherche esthétique. Les lunettes n’échappent pas à cette règle. Elles sont devenues des objets de paraître, témoignant de l’importance accordée à l’image dans notre société ; habiller son regard est aussi important que de s’apprêter. On ne cache plus ses lunettes, on les porte fièrement. Les lunettes sont en effet devenues le prolongement de notre personnalité. Elles sont parfois portées sans même en avoir besoin. C’est pourquoi de nombreuses montures solaires et optiques portent la marque de grands couturiers et créateurs ou sont le fruit de collaboration entre lunetiers et architectes, designers, stylistes, célébrités, etc. C’est un indéniable accessoire de mode, qui s’adapte aux goûts et aux tendances du moment. Avec, à n’en pas douter, encore de belles années en perspective…
Parisee -. Peut-on considérer certaines paires de lunettes comme des œuvres d’art ?
L. Grosset -. Les instruments d’optique à port manuel qui enrichissent l’histoire de la lunette depuis ses origines sont incontestablement des objets d’art par leurs qualités artistiques supérieures et leur rareté sur le marché de l’art. Les lunettes, telles que nous l’entendons aujourd’hui, peuvent également être considérées comme des objets d’art même si l’unicité ne les caractérise pas. Leur qualité, leur design, leur originalité et parfois leur rareté sur le marché en font des objets artistiques à part entière ; je pense notamment aux lunettes de défilé griffées Pierre Cardin (modèle papillon, vers 1960) ou, plus récentes, aux lunettes créées par le MOF André Chaudier (1970/2000) conservées au Musée de la lunette.
Le Musée de la lunette à Morez est un témoignage vivant de l’histoire et de l’innovation de la lunetterie française. Entre tradition artisanale et modernité, il offre un voyage unique à travers des siècles de créativité et de passion. Si vous êtes de passage dans le Jura, ne manquez pas cette visite enrichissante qui met en lumière un pan fascinant de notre patrimoine. Prêt à découvrir ce joyau culturel ?
Adresse : Musée de la Lunette Place Jean Jaurès 39400 Morez, France
Tél. : 03 84 33 39 30
Horaires d’ouverture :
Fermé le 1ᵉʳ janvier, 1ᵉʳ mai et 25 décembre.
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