Claire Ferreira, figure incontournable du design de lunettes et co-directrice artistique au sein du Design Eyewear Group depuis près de quinze ans, nous explique le cheminement créatif et les nombreux défis à relever pour imaginer puis élaborer de nouvelles collections de lunettes
À travers cette discussion, elle partage ses sources d’inspiration, la singularité de son approche créative et la manière dont elle transforme les contraintes techniques en opportunités. Claire Ferreira, dont le travail a été régulièrement mis en avant par le Design Eyewear Group, nous invite à découvrir comment chaque monture devient une œuvre unique, alliant esthétique, innovation et originalité.
Parisee -. Pouvez-vous me résumer le parcours qui vous a mené au métier de designer lunetier ?
Après mes études, j’ai commencé ma vie professionnelle en tant que designer de lunettes chez Face à Face. Et cela fait quatorze ans que je continue à faire ce métier en évoluant avec la marque. Entre temps, Face à Face qui était une marque indépendante a intégré le Design Eyewear Group. Aujourd’hui, ce groupe développe et commercialise neuf marques et je co-gère la direction artistique de trois d’entre elles.
Parisee -. En termes de design, quels sont les principaux défis qui se posent quand on dessine une nouvelle paire de lunettes ?
Ensuite, il y a le défi technique qui cherche à repousser les limites de ce qu’il est possible de faire avec les fabricants pour les amener à atteindre les objectifs du dessin. Par exemple, pour la marque Face à Face, j’aime beaucoup travailler avec des angles très vifs. Or, techniquement, la phase de polissage est à l’antithèse de cette approche puisqu’elle consiste à tout arrondir. Il faut donc trouver des astuces pour garder, ou pour retrouver, de la vivacité au niveau des angles.
Se pose aussi un défi lié au marché. Notre marque a une vocation très internationale. Il faut donc parvenir à imprimer l’ADN de notre style tout en restant compatible avec différents marchés (tailles, couleurs…).
Enfin, le design de lunettes doit répondre à un défi d’équilibre. Pour chaque collection, l’objectif est de créer un nouveau concept, c’est-à-dire une forme de lunettes, qui surprend et attire. Mais nous cherchons à ce que cette forme soit bien balancée pour être élégante, non caricaturale, et confortable à porter. Chez Face à Face, le concept « Framed » offre un bel exemple de rencontre entre une expressivité forte et des lunettes très bien équilibrées une fois portées.
Parisee -. Est-ce que toutes ces contraintes contribuent à booster votre créativité ?
C. Ferreira -. Oui, tout à fait. Les contraintes autour de la lunette deviennent des opportunités en matière de création ! En master, je me souviens que lorsqu’il fallait dessiner en totale liberté cela pouvait conduire à un blocage face au trop plein de possibles. Les contraintes offrent un cadre dans lequel on peut exprimer toute une diversité de personnalités.
Lorsqu’on dessine des lunettes, comme dans le dessin de BD, chaque dixième de millimètre contribue à forger l’expression. La moindre inflexion du trait suffit à passer d’une forme sévère à sympathique ou audacieuse.
Parisee -. Quelle est, selon vous, la contrainte la plus difficile à gérer ?
Parisee -. Vos sources d’inspiration lorsque vous imaginez une nouvelle collection de lunettes ?
C. Ferreira -. Nos sources d’inspiration sont multiples. Grâce à l’emplacement de notre showroom au centre de Paris, nous avons la chance de pouvoir trouver des idées dans les galeries, les musées ou, tout simplement, dans la rue.
Nous suivons beaucoup ce qui se passe dans l’art contemporain et la mode. Les défilés de la Fashion Week, Le salon « Première Classe » dédié à l’accessoire au Jardin des Tuileries et la Design Week de Milan sont autant de rendez-vous incontournables. Mais l’inspiration ne s’arrête pas là.
Comme nous aimons profondément ce que nous faisons nous sommes très imprégnés et les idées peuvent surgir à tout moment.
Parisee -. En matière de design de lunettes, sur quoi peut-on encore ou toujours innover?
C. Ferreira -. On peut innover sur tout ! L’innovation peut se jouer sur un plan technique et / ou sur un plan esthétique. Néanmoins, on s’inscrit toujours dans une temporalité où se dessine de grandes tendances. Il y a trente ans, par exemple, les lunettes étaient beaucoup plus petites. Aujourd’hui, l’ère du temps permet des formes plus grandes, plus épaisses et une approche plus androgyne.
Parisee -. Pourriez-vous me parler d’un modèle que vous avez conçu et dont vous êtes particulièrement fière ?
Parisee -. Peut-on, selon vous, dessiner des lunettes qui vont à tout le monde?
C. Ferreira -. Il existe des marques destinées à produire des lunettes qui vont à tout le monde. En tant que marque de créateur, nous prenons forcément le risque de faire des choix plus clivants qui vont soit, déclencher un vrai coup de cœur, soit, déplaire. Nous essayons tout de même de créer des esthétiques nouvelles en restant dans une sphère susceptible de plaire au plus grand nombre. Pour cela, nous essayons toujours de respecter une sorte de « gabarit universel » avec des proportions et une inflexion de lignes qui remportent l’adhésion du plus grand nombre.
Parisee -. Il est toujours difficile de se décider sur une nouvelle paire. Auriez-vous un conseil à donner pour déterminer si des lunettes vont bien à quelqu’un ?
C. Ferreira -. On me demande souvent : qu’est-ce qui m’irait bien ? Et je dois répondre que je ne suis pas visagiste. Pour déterminer si un modèle vous va bien, il faut tenir compte de plusieurs paramètres dont certains sont très personnels.
Il faut adapter le gabarit à votre typologie de visage. Sur ce point, je peux donner un conseil sûr. Il est toujours préférable que la pupille soit centrée – sur un plan horizontal – au milieu du verre. Ensuite, si on a un grand visage et que l’on aime les petites lunettes, il sera plus facile de se tourner vers des formes rondes. Les lunettes carrées ou rectangulaires ont besoin d’être proportionnées à la taille du visage. Sur un visage fin, les choix sont plus ouverts. En optant pour de grandes lunettes, on va d’emblée se donner un style plus branché.
Dans tous les cas, il est important de se laisser un peu de temps pour oser le changement sans chercher à se décider trop brutalement. Il faut trouver le modèle dans lequel vous parvenez à affirmer votre personnalité tout en vous reconnaissant. Les lunettes ne doivent pas être un déguisement mais un révélateur qui peut aider à parler de soi.
Parisee -. Quelles seraient d’après vous les formes iconiques de lunettes qui ont marqué l’histoire du design optique ?
À partir de la seconde moitié du XXème siècle, les lunettes deviennent un vrai accessoire de mode. Le premier pas est donné au début des années 50 avec la « Wayfarer » qui rompt avec la forme aviateur métallique en inventant une nouvelle forme aujourd’hui devenue iconique.
Dans les années 60, la tendance s’amplifie. La lunette se libère avec un design de plus en plus débridé porté par des personnalités comme Jackie Kennedy, Yves Saint Laurent, Andy Warhol ou encore Grace Jones. Les exemples sont nombreux. Les lunettes rondes de John Lennon entrent dans la légende.
Parisee -. Et aujourd’hui, quelles tendances fortes voit-on émerger ?
C. Ferreira -. Plus récemment, je citerais la tendance des lunettes « Matrix » avec des formes très plates et effilées qu’on voit s’imposer à la Fashion Week et qui sont en passe de devenir iconiques. Un autre exemple d’icône serait la « Pantos » avec sa forme ronde épurée. Celle-ci s’est imposée comme un classique indémodable.
Toutefois, pour revenir au milieu des lunettes créateurs, je dirais qu’on a tendance à s’affranchir de plus en plus des formes pré-définies, rondes, aviateurs ou autres. Aujoud’hui, on peut adopter des formes de type hexagonale une approche plus polymorphe qui consiste à mixer ensemble plusieurs typologies de formes.
Parisee -. Au-delà du succès commercial, qu’est-ce qui définit un succès en termes de design ?
Parisee -. Le Design Eyewear Group a la particularité de faire collaborer le Danemark, l’Angleterre et la France. Y-a-t-il des spécificités d’un pays à l’autre dans la manière de concevoir de nouvelles lunettes ?
C. Ferreira -. En essayant d’éviter les caricatures, on observe tout de même des différences de sensibilité réelles d’une zone géographique à l’autre. On s’en rend compte en interne à travers l’expression de nos trois cellules de design.
Au Danemark, c’est la fonction qui amène la forme avec un design radical et épuré dans la mouvance du « less is more ».
En France, l’approche est plus latine, plus colorée. On se permet plus d’audace et de liberté, en accordant une part importante au concept et au story telling.
En Angleterre, on va s’intéresser en priorité au style du porteur final. On va plutôt partir de la rue pour concevoir une nouvelle forme.
Parisee -. Est-ce qu’on retrouve des différences de sensibilité dans les attentes des consommateurs ?
C. Ferreira -. Oui, nous devons répondre à un marché international en tenant compte de ces différences.
Aux États-Unis, notamment, les consommateurs vont souvent préférer des formes classiques assez rectangulaires ou papillons. Nos clients américains vont plus volontiers se tourner vers des produits assez consensuels qui n’engagent pas trop de prise de risque.
En revanche, les Espagnols, les Italiens et les Français recherchent souvent des formes plus hautes, pouvant être plus carrées et colorées.
Cela explique pourquoi tous nos modèles sont déclinés en deux formes et six couleurs. Ces nombreuses déclinaisons permettent de répondre à chaque sensibilité avec plusieurs propositions.
La rencontre avec Claire Ferreira nous plonge au cœur de l’univers du design optique où chaque collection devient une exploration artistique. Si cette interview vous a inspiré, ne manquez pas de lire également notre article sur Dance par Design Eyewear Group.
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